• 29 mars 2024 1 h 10 min

Association GEMPPI

Aide aux victimes / Informations / Sensibilisation sur les dérives sectaires

Temps de lecture : 20 min.

 

Dérives sectaires

dans le catholicisme

 

Christian TERRAS, éditions GOLIAS

 

Extrait d’une conférence donnée dans le cadre du colloque national « Extrémismes religieux, dérives sectaires et thérapeutiques » samedi 8 octobre 2011 à l’Espace Ethique Méditerranéen – Hôpital de La Timone – Marseille, organisé par le GEMPPI

 

Plusieurs conférences de ce colloque consacré aux dérives sectaires et aux extrémismes dans les religions ont déjà été publiées dans les numéros précédant, autour du bouddhisme, de l’hindouisme et de l’islam

 

Les éditions GOLIAS (http://golias-editions.fr), dont le directeur de publication est Christian TERRAS, ont un angle éditorial critique envers le christianisme et envers le catholicisme plus particulièrement et se définissent comme une force de proposition pour penser le christianisme dans la modernité. Les éditions GOLIAS ont maintenant 26 ans d’existence. Christian Terras, se présente lui-même comme un croyant : « Je suis chrétien catholique et je mourrai catholique, quelque soit la situation de mon Eglise, ses turpitudes, ses lâchetés, mais je pense que le printemps de l’Eglise est pour bientôt ».

Le fait qu’il ait observé des dérives sectaires au sein de l’Eglise catholique, n’implique pas que l’Eglise soit une secte, mais qu’elle est, dans sa diversité, composée de groupes ou d’individus extrémistes pouvant conduire à des cas de dérives sectaires. Aucune religion n’est épargnée par le phénomène, comme nous l’avons observé lors des différentes interventions dans ce colloque.

Les éditeurs du GEMPPI ont préféré vous retranscrire in extenso l’intervention de Christian Terras afin de restituer autant que possible certains aspects spontanés et prégnants de ce témoignage. Ceci expliquant quelques petites répétions ou plutôt précisions ajoutées à certains points développés. Nous avons ajouté quelques titres et sous-titres pour améliorer la lisibilité du texte.

Origine de cette démarche expliquée par Christian Terras

Ce qui nous a amené dans cette critique, notamment du catholicisme, c’est un certain nombre de réalités ecclésiales, qui nous ont convaincu qu’elles méritaient des analyses pas seulement conceptuelles, mais aussi des enquêtes d’investigation. Nous avons pu depuis une quinzaine d’années, travailler sur ce qu’il est communément admis d’appeler des dérives sectaires au sein de l’église catholique.

L’Opus Dei, début de notre œuvre

J’ai commencé à travailler en 1990 sur l’Opus Dei et 20 ans après, nous sommes toujours sur le front, puisque récemment nous étions à Paris au procès d’une ex adepte de ce mouvement et notre journaliste sur place a fait 5 pages de reportage concernant ce drame révélateur de ce qu’il se passe dans certaines familles de l’église catholique.

Donc, à partir de 1990 j’ai commencé à m’interroger sur un certain nombre de groupes catholiques qui étaient vantés, véhiculés, légitimés alors par le nouveau pontificat de Jean- Paul II, comme les troupes d’élite de la « nouvelle évangélisation ». Cette géopolitique de la « nouvelle évangélisation»de Jean-Paul II s’inscrivait dans un contexte de discrédit, je dirais même d’un déni des ordres religieux traditionnels, à savoir, les jésuites, les dominicains, les franciscains, les salésiens, etc. Ceci pour des raisons très simples : les jésuites et les dominicains notamment, étaient engagés dans une réflexion spirituelle et théologique, voire même une réflexion politique autour de la théologie de la libération en Amérique Latine, qui faisait que pour Jean- Paul II, ses troupes historiques fidèles au Vatican, n’étaient plus fiables à ce moment là. Du coup, le Pape a fait monter à sa droite un certain nombre de groupes évinçant cette tendance et mettant en œuvre sa « nouvelle évangélisation» basée sur le prosélytisme, la conversion. Refaisons chrétiens, refaisons catholiques nos frères, nos sœurs, disait-on. C’est ce contexte géopolitique ecclésial qui en 1983 lorsque le pape Jean-Paul II a officialisé l’Opus Dei en la gratifiant d’une prélature personnelle, m’a amené à m’interroger. Chose que ses prédécesseurs, les papes Jean XXIII et Paul VI avaient toujours refusé au nom de l’ambiguïté, de l’obscurantisme, l’opacité et du lobbying de cette organisation religieuse d’origine espagnole, comptant aujourd’hui 85000 membres dans le monde. Voici donc le déclencheur de notre travail éditorial.

La monté en puissance de l’Opus Dei

Ensuite nous avons assisté à l’officialisation de l’Opus Dei comme prélature personnelle du Pape. C’est un statut spécifique qui fait que l’Opus Dei ne dépend que de l’autorité du pape et qu’elle échappe à l’autorité des ordinaires du lieu, les évêques. Ceci laisse à cette organisation toute latitude pour faire ce qu’elle veut, notamment dans les campus où les jeunes universitaires, en particulier juristes et scientifiques, sont des cibles de choix pour leur prosélytisme. De plus, le fondateur de l’Opus Dei a été béatifié dans les années 90, ce qui est une première étape avant la canonisation, qui fait un nouveau saint pour l’Eglise, un modèle, un témoin de la foi. De nombreux évêques avec qui j’étais en relation ont été très indisposés par cette promotion, avouant leur impossibilité à faire entendre leur voix et plus globalement, en raison d’une lâcheté avérée. Les évêques se sont donc tus et n’ont pas osé constituer un rapport de force qui aurait pu faire entendre à l’autorité romaine un autre son de cloche. J’ai pu observer à l’occasion de la béatification d’Escriva de Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei, que le dossier d’enquête ecclésiale avait été remanié par ce mouvement et par d’autres officines catholiques nettement en ce qui concerne l’historique de la vie de ce présumé saint. Pour moi, il était clair que la raison de l’Eglise fonctionnait comme la raison d’Etat. Dans cette affaire, la figure emblématique d’Escriva de Balaguer, l’importance stratégique de l’Opus Dei, sur les plans financier, politique, ont eu un poids très important. Je précise qu’à l’Opus Dei, ce sont des as de la haute finance, de la communication, de la formation et des technologies nouvelles. J’ai pu observer que dans cet appareil, s’ils sont archaïques sur certains aspects idéologiques, dans leur rapport au monde, ils sont en en pointe, hypermodernes dans leurs moyens de communication. Je dirais que la béatification express d’Escriva de Balaguer est liée en partie à la maitrise des nouvelles technologies de l’information, que l’Opus Dei possédait avant tout le monde dans les années 80/90 dans l’Eglise Catholique. C’est l’une des raisons qui fait que depuis Jean-Paul II la béatification puisse être aussi rapide ; avec un dossier bien pistonné on peut devenir saint au bout de 4 à 5 ans alors qu’il fallait auparavant entre 25 ans et un siècle, voire 2 ou 3 siècles. Pour le fondateur de l’Opus Dei, nous avons assisté à une procédure hyper rapide à tel point que Jean-Paul II a dû modifier les règles permettant de faire des saints. Ce pape fera plus de 1000 saints pendant son pontificat. J’ai pu observer pendant cette procédure de béatification de Balaguer, que les rouages de l’Eglise étaient complètement contaminés par des cardinaux, des évêques et autres personnages influents, proches ou affilés à l’Opus Dei. A telle enseigne que 2 juges du tribunal ecclésiastique chargé d’examiner la cause de la béatification, qui n’avaient rien de progressistes, se sont déjugés de cette pantalonnade, estimant qu’il s’agissait d’un procès unilatéral et que ce procès en sanctification ne faisait pas entendre des voix discordantes comme c’est normalement le cas. Ceci, alors qu’il ne manquait pas de contradicteurs du meilleur niveau en Europe et aux Etats-Unis. Ces rouages pouvaient écraser implacablement la voix des victimes qui auraient pu faire entendre un autre son de cloche sur ce qu’elles avaient pu endurer à l’Opus Dei (voir les différents ouvrages de témoignages en bibliographie). Si je fais ce long préalable sur l’Opus Dei, c’est pour vous dire comment d’en étais arrivé à m’occuper et pour vous montrer que nous avons une histoire qui me permet de vous parler des dérives sectaires au sein de l’Eglise Catholique.

Ensuite vinrent les mouvements charismatiques et le psycho-spirituel

Ceci m’a évidemment aussi amené à enquêter sur les mouvements charismatiques, sur la mouvance dite de la « Nouvelle évangélisation ». Nous avons notamment beaucoup travaillé sur le cas des frères de St Jean. Il y a ici des gens de l’AVREF plus compétents que moi pour en parler parce qu’ils ont vécu à l’intérieur des choses graves, insupportables, aberrantes. Je réponds donc à l’invitation du GEMPPI et je l’en remercie parce qu’on n’a pas toujours l’occasion de parler librement de ces choses là, même si on dispose d’un journal qui tire à 10000 exemplaires, « Golias » pour ne pas le citer, et d’une maison d’éditions du même nom. Il est toujours important de s’exprimer en public comme aujourd’hui pour avoir des réactions spontanées. Je vais donc aborder les choses sous un angle très précis parce qu’elles me paraissent très préoccupantes, bien que certaines avancées aient pu se faire. Le poison dont je vais vous parler aujourd’hui est au cœur de l’Eglise Catholique. Il s’agit des dérives provenant des méthodes dites « psycho-spirituelles » orchestrées par des thérapeutes qui contaminent l’Eglise Catholique. Nos diverses enquêtes sur différentes communautés charismatiques(1) et instituts religieux se réclamant de la nouvelle évangélisation lancée par le pape Jean-Paul II, nous ont conduit à alerter l’opinion publique à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise sur les risques que comportent ces thérapies psycho-spirituelles élaborées au sein de cette mouvance et qui étend désormais son influence au cœur même de la communauté ecclésiale. Ces psychothérapies issues de la galaxie new age et ré-évangélisées selon la vision de leurs bergers(3) causent des dégâts considérables.

Psychogénéalogie à la sauce Ste Thérèse de l’Enfant Jésus

Non contents de pervertir le cœur même de la transmission de la foi évangélique, ces thérapies psycho-spirituelles contaminent des monastères, des carmels et détruisent des familles entières, en particulier, au travers du travail thérapeutique basé sur la psychogénéalogie(2). Ce lourd dossier démontre la perversité de cet accompagnement thérapeutique et spirituel. D’autant que cette nouvelle religiosité chrétienne s’est aussi élaborée à partir de la spiritualité de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. Voie spirituelle et singulière, en réalité détournée dans un soi-disant chemin de guérison obligatoire. Suite à cela il s’agira de guérir les blessures induites lors de la participation à ces fameuses sessions de psycho-spirituel. Je ne serais rien aujourd’hui par rapport à ce dossier, si je parlais au nom de quelques victimes, en fait ce sont des dizaines et des dizaines de témoignages de personnes dont les vies ont été détruites qui expliquent ma présence ici. Il ne s’agit donc pas de cas marginaux venant confirmer la fameuse « exception qui confirme la règle », comme le disent certains évêques. Ces nombreux témoignages montrent que ces pratiques qui entretiennent une grande confusion entre le psychologique et le spirituel, font de la foi chrétienne, non plus un chemin d’initiation et de conversion, mais une recherche systématique de blessures et de guérisons passant par des accompagnements thérapeutiques concoctés par le thérapeute auto proclamé et tout puissant parce qu’investi de l’Esprit Saint. Des thérapeutes dispensateurs d’une idéologie de la souffrance aux antipodes de la voie évangélique. Face à cette situation alarmante, les évêques de France écoutent, mais décident de ne rien décider au sujet des désastres causés par les bergers ou les docteurs de ces communautés ou centres de ressources chrétiens. Ces derniers s’abritent derrière leur mission d’apostolat pour mettre en œuvre ce qui en résumé est une véritable stratégie, voire une hérésie, au sein de l’Eglise catholique.

L’idéologie de la souffrance comme mode opératoire

« L’initiation à l’école du Carmel » qui est le nom d’un programme de thérapie psycho-spirituelle sera proposé de manière détaillée à chaque disciple de ces communautés comme un chemin d’union à Dieu  décrit par Ste Thérèse d’Avila et St Jean de la Croix, étayé par la spiritualité de Ste Thérèse de Lisieux. La notion de combat spirituel maintes fois reprise dans ces communautés pour justifier la souffrance trouve ici son origine. Le concept d’ennemi que l’on retrouve régulièrement dans le psycho-spirituel, c’est-à-dire le Diable, l’esprit du monde, nos viles passions, a été développé par St Jean de la Croix  dans la montée du Carmel, mais instrumentalisé aujourd’hui par des responsables de ces communautés du psycho-spirituel. Quant à la spiritualité de Ste Thérèse de Lisieux par de mauvaises interprétations et par des dérives de sens, elle a été dénaturée et occupe toujours à l’heure actuelle une place prépondérante et vécue par un nombre important de disciples de ces groupes et notamment par le biais de ces fameuses psychothérapies chrétiennes dispensées par les bergers(3) de ces communautés, voire des médecins affiliés à celles-ci. A titre d’exemple, qui n’est pas le seul dans ce cas, frère Ephraïm, un des co-fondateurs des Béatitudes, aujourd’hui à l’écart, a mis en place un véritable édifice anthropologique spirituel dominé par la souffrance comme justification de la sainteté et du salut des âmes.

Théologie de la souffrance et martyr blanc

L’exemple qui illustre le mieux à mes yeux cette théologie de la souffrance est cette histoire d’un responsable d’une maison communautaire, père de famille, médecin de formation, qui a raconté son histoire dans un témoignage. Il est entré un jour dans une communauté de vie avec sa femme et ses 4 filles en bas âge. Il y travaille manuellement et fait des travaux durs, notamment dans le jardin de la maison communautaire. En quelques mois, il perd une dizaine de kilos sans compter les conditions de logement très précaires pour une famille de 4 enfants. Bientôt, compte tenu de sa personnalité, on lui confia la charge de responsable de la maison communautaire qui l’avait accueilli. Pour des raisons internes indépendantes de sa volonté, ce médecin fut progressivement écarté de sa responsabilité, tout en restant dans sa communauté. Cette mise à l’écart lui fut très douloureuse, d’autant qu’il perdit sa fille ainée suite à une maladie et il faillit perdre de même sa 3° fille. Or, cette série d’épreuves fit monter sa côte de popularité au sein de la communauté. Sa force spirituelle, ses différents « charismes » furent consolidés par son « martyr blanc », pour utiliser l’expression consacrée dans ce milieu. Toutes ces épreuves qui s’abattaient sur sa personne étaient la preuve de l’acharnement du Diable, de « l’ennemi » et donc montrait son chemin vers la sainteté. Voici la traduction du véritable chemin de sainteté à prendre pour un disciple dans ce type de communauté. Malheureusement les exemples de ce genre sont légions. Dans le domaine de la théologie de la souffrance, les « intouchables » sont celles et ceux qui ont enduré et accumulé le plus d’épreuves.

La communauté des Béatitudes en pointe dans ce domaine

La diffusion du psycho-spirituel est liée entre autres au développement de la communauté des Béatitudes, mais pas seulement. Il est né notamment de l’intérêt de son fondateur Ephraïm pour les sciences humaines et de 3 médecins de la communauté. Philippe Madre, aujourd’hui écarté, Fernand Sanchez et Bernard Dubois qui est toujours en activité et aussi Rolland Blancard, le beau-frère d’Ephraïm. Le cadre communautaire est propice pour faire ressortir des situations analogues au passé traumatique de chacun. La communauté devient alors un équivalent maternel et le berger(3) un équivalent paternel. De plus, des situations douloureuses permettent d’aborder des détresses psychologiques ou maternelles qui sont rejouées dans ce cadre, révélant ou réveillant les vieilles souffrances. Encore récemment la maison St Luc dans le Tarn était le lieu emblématique de l’enseignement du psycho-spirituel. Mais ce n’est pas le seul avec l’éclatement du noyau des fondateurs des Béatitudes. Ephraïm le développe dans son propre réseau autour de la Communion de la Reine de la Paix et le Dr Bernard Dubois de son côté dans sa nouvelle implantation du Puy en Haute Loire avec ses fameuses sessions Agapè et le tout avec la bénédiction de Mgr Brincard, l’évêque du lieu. Ephraïm est à l’origine de la pénétration en France des thérapies psycho-spirituelles en provenance des Etats-Unis, où il a beaucoup séjourné et appris aux côtés des Pentecôtistes protestants. C’est lui qui sera, entre autres, l’introducteur de la, psychogénéalogie(2)chrétienne à partir des travaux du Père John Hampsh, un religieux catholique américain de la congrégation espagnole des Clarétains. Les thérapies psycho-spirituelles chrétiennes sont devenues une grande nébuleuse où gravitent des « bergers», des médecins, des communautés qui agissent selon le charisme, c’est-à-dire des dons accordés par Dieu. Ces pratiques de « charismes » permettent d’éviter de répondre de ses choix, puisqu’ils sont directement inspirés par l’Esprit Saint. La nébuleuse attire le client en particulier avec les promesses de santé physique, psychique, morale, spirituelle dans une même démarche.

 

Quand la psycho-généalogie chrétienne remplace les antibiotiques

Dans ces communautés ou autres instituts de ressources chrétiennes, les antibiotiques et le scanner sont souvent remplacés par l’analyse de son passé et de ses racines. Le programme principal s’appelle « Guérison et purification de notre arbre généalogique » (SIC). Le document part d’une citation du livre de l’Exode (34.7), où Dieu s’affirme jaloux et réclame des comptes aux fils pour les fautes de leurs parents sur 3 ou 4 générations. Quelle aubaine pour nos exégètes du psycho-spirituel qui, oubliant l’enseignement nouveau de l’Evangile, ont conclu que le péché traverse les générations, d’où ce travail sur la psychogénéalogie (2). Par exemple, dans ces programmes nous pouvons lire : « Le suicide de mon arrière grand-père est la cause des angoisses de mort que je connais dans ma vie d’aujourd’hui, ainsi que d’autres actes suicidaires dans ma famille ».

Une situation vécue dans ma famille peut, selon cette doctrine, se répéter de générations en générations. Par exemple, tous les garçons d’une branche familiale divorcent à peu près au même âge, c’est ce qui est appelé « répétition généalogique ». Et de poursuivre, selon ce qui est écrit dans leur programme : « Je porte donc en moi la mémoire de mon histoire familiale et il faut demander au Seigneur de visiter cette mémoire afin de lui couper ses liens.Ceci pour libérer mes aïeux qui sont au purgatoire et aussi pour moi, ma famille et ma descendance » (SIC). Et tout est du même tonneau à longueur de pages. Cette mise en cause de la généalogie conduisant à « couper les mauvaises branches du passé » permet dans la foulée au berger(3) d’imposer aux adeptes de couper aussi les liens avec leur propre famille, ce qui est aujourd’hui l’une des choses caractérisant les dérives sectaires. Quand des enfants embarqués dans une communauté ne veulent plus voir leurs parents ou leur fratrie, ou bien ne communiquent plus vraiment avec eux, il y a réel danger. Les responsables assurent alors leur pouvoir en interdisant toute interférence. Nos praticiens chrétiens du psycho-spirituel et leurs associés récupèrent alors sans scrupules des réalités psychiques découvertes au travers de nombreuses recherches modernes sur le bâti de la conscience humaine. Et ils construisent sur ces connaissances actuelles une stratégie de conquête religieuse malsaine dont on peut dire qu’elle relève trop souvent de l’escroquerie et pas seulement spirituelle ou intellectuelle. De telles pratiques portent atteinte à la foi chrétienne dans son noyau fondateur. On prétend faire renaître le nouveau membre à la vie spirituelle ce qui est la vocation du baptême, mais en même temps et dans la même démarche, il est affirmé que c’est toute la vie, y compris physique, psychique qui va se trouver transformée avec la promesse de disparition de la maladie et de tout problème. On voit aujourd’hui le succès de toutes ces méthodes visant à être bien dans son corps ou à se libérer de ses limites, de ses inhibitions. Je n’ai rien contre, je dis simplement que les charlatans du psycho-spirituel surfent sur cette vague du bien- être pour attirer leurs proies.

Pendant ce temps que font les évêques ?

Si certains sont des inconditionnels de ces groupes parce qu’ils sont très proches spirituellement et pastoralement, beaucoup s’inquiètent pour l’odeur de dérives sectaires que répandent ces communautés. Ils écoutent les plaintes de ceux qui sortent de ces machines à décerveler, ils écoutent, mais ils ne font rien ou pas grand-chose. Prenons par exemple la note doctrinale que l’épiscopat français a publiée quasi confidentiellement en août 2007 sur le sujet qui nous occupe ici. Notons que c’est à la demande de plusieurs évêques concernés que la commission s’est penchée sur les fondements dogmatiques et psychologiques de « la guérison de l’arbre généalogique par l’offrande eucharistique ». Ces pratiques engagent bien la responsabilité de l’évêque du lieu puisque dans un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 14 septembre 2000, des instructions sont données sur les prières pour obtenir la guérison de Dieu. A l’époque, Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, balise parfaitement le terrain. Art. 10 «  L’évêque diocésain doit nécessairement intervenir avec son autoritéquand il y a des abus dans les célébrations de guérison liturgiques et non liturgiques ». On reste pantois 10 ans après lorsqu’on voit la manière dont les évêques appréhendent de telles pratiques. Si les évêques constatent de telles déviances, pour autant ils ne les mettent pas à l’index. Et quand c’est le bureau doctrinal de l’épiscopat qui intervient sur un problème on peut espérer qu’il en sorte un document qui verrouille et qui condamne une telle problématique. Il n’en est rien, on ne nous propose que du constat. Merci donc pour les médecins, les bergers des communautés psycho-spirituelles qui légitimés par ce message de non condamnation et de prudence, continuent leurs forfaits.

Les enfants sont eux aussi concernés

Il faut savoir que la problématique du psycho-spirituel touche aussi les enfants et encore je n’aborderai que la psycho-généalogie. Il y a des stages spécifiques pour eux, de manière à ce qu’eux aussi puissent reprendre des démarches d’agapéthérapie (thérapie par l’amour) pour que ça marche mieux avec leurs parents, avec la société et dans leur itinéraire spirituel. Et l’affaire fonctionne d’autant mieux que certains responsables de l’Eglise catholique ne cachent pas leur satisfaction devant de telles initiations, assimilées à de la catéchèse. Ces psycho-généalogies spirituelles pour enfants, sont à l’origine une émanation d’un bénédictin, le père Joseph Michel. Au programme : prières de délivrance pour les parents, rôle d’ange gardien dévolu à chaque accompagnateur des enfants (un accompagnateur pour 2 enfants), prière de louange, confession, témoignage, atelier jardinage, broderie, le tout dans une ambiance chaleureuse et très fusionnelle.

Le point d’orgue de ces journées intenses sur le plan émotionnel des enfants, est une célébration des « Mystères joyeux pendant près de 3 heures. Le cœur de la démarche se déroule le samedi avec la répartition des enfants en 5 groupes différents selon leur « blessure intérieure » que leurs parents auront pris soin d’indiquer dans un questionnaire adéquat et confidentiel envoyé avant le déroulement de la session.

Quelques exemples de traumatismes des enfants et identification de liens ancestraux négatifs :

sorcellerie, spiritisme, avortement, suicide, alcoolisme, divorce, etc. Bref, le début d’un calvaire dont nombre de parents ne réaliseront l’impact destructeur sur leurs enfants que quelques années plus tard… Et encore quand certains parents acceptent de se remettre en question.

Le business du psycho-spirituel

Par ailleurs, j’ai reçu un certain nombre de témoignages dont certains m’ont donné de voir que ces méthodes d’agapéthérapie et de psycho-généalogie étaient au cœur de l’eucharistie. Il y a en fait tout un business autour de la psycho-généalogie eucharistique : 250 € pour une neuvaine, une façon d’éradiquer le mal dans le cadre d‘une messe, puisque la psycho-généalogie chrétienne ne s’inscrit que dans l’arbre fondateur, c’est-à-dire celui du Christ qui est relié à Dieu le Père. Donc, dans le cadre du « grand sacrifice suprême, » puisque c’est l’appellation dans ces groupes, il est bien entendu que l’eucharistie est le point d’orgue de la libération et de l’inscription dans l’arbre généalogiquedu chrétien et pour ce faire, il est nécessaire d’expier. Pour expier, une seule messe ne suffit pas, des neuvaines, des trentaines sont préconisées. On a pour cela des propositions tarifaires à 250, 500 €… L’escroquerie spirituelle se double comme dans beaucoup de groupes à dérives sectaires d’une escroquerie financière. Je dis cela parce que plusieurs témoignages montrent ce type de dérives.

Quelques conséquences ultimes

Ce genre d’approche psycho-spirituelle peut amener parfois à l’inacceptable, c’est à dire le suicide. Et ce ne sont pas des cas rares. Lequel suicide renvoie à un CD d’Ephraïm intitulé « Ma vie avec les morts », un témoignage que l’on trouve aussi dans son livre « Les pluies de l’arrière saison » où Cathy, une jeune paumée, est tout de suite prise en charge pour être « guérie ». S’en suivent des séances d’exorcisme qui vont durer plusieurs mois. Dans la maison communautaire où on l’a accueillie, on caparaçonne de matelas les fenêtres pour éviter que le voisinage entende les cris de Cathy. Cette dernière aura développé des liens affectifs avec les responsables de la communauté à tel point qu’elle dormait dans la chambre conjugale de ceux-ci. Et quand Cathy se mettra la corde au cou pour se suicider, les responsables qui se sont occupés d’elle en feront un témoignage céleste, sans passer par les sciences humaines, la médecine, la psychiatrie ou la psychothérapie.La mort de Cathy sera présentée comme l’incarnation de l’expiation du Diable qui l’habitait et aujourd’hui, « elle est dans les bras de Dieu. »… Il est compliqué pour ceux qui sortent de mouvements comme celui-là ou de l’Opus Dei, voire des Frères de St Jean, par exemple, de parler et de témoigner, car ils sont catholiques et qu’ils ont la foi chevillée au cœur et au corps et qu’ils aiment leur Eglise. Ceci, je le tiens d’une personne qui dans ce drame, a justement participé aux séances d’exorcisme de Cathy : « Je me suis longtemps demandé si je devais parler ou me taire afin que ces histoires là soient connues », me disait-elle.

Le mensonge institutionnalisé dans l’Eglise

Le mensonge institutionnalisé dans le système ecclésiastique catholique concernant ce type de pratiques fait que la raison d’Eglise l’emporte au nom de la raison d’Etat sur l’éradication qu’il conviendrait de faire de ces comportements. Quelques progrès ont été réalisés, notamment je sais que le pape Benoit XVI essaie de changer la donne et de nettoyer les écuries d’Augias, mais c’est à dose homéopathiques et dans les limites qui sont liées à sa charge. Les évêques ont publié un rapport confidentiel sur le psycho-spirituel à la fin de l’année 2011 mais si Golias ne l’avait pas divulgué dans son intégralité, personne ne serait au courant.

Ainsi le mensonge institutionnel ecclésial avance encore aujourd’hui dans les lumineux oripeaux de la perversion chrétienne. Lucifer camouflé dans la pseudo-spiritualité de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. Spiritualité dévoyée et instrumentalisée pour justifier des pratiques qui tuent psychiquement et physiquement. Que de victimes, dont certaines sans défense parce qu’aujourd’hui sans famille, des pauvres dont personne ne se soucie, des victimes oubliées dont la vie a été volée comme Cathy et bien d’autres. Tout cela pour redorer la façade d’une certaine Eglise, d’un certain apostolat, d’une certaine « nouvelle évangélisation. » Une ignominie au regard de la prédilection de Dieu pour les petits et les pauvres, une honte pour notre Eglise catholique. Une mère qui non seulement ne protège plus ses enfants ou pas assez et dont le silence complice laisse la Bête les dévorer. La vérité est en train de sourdre aujourd’hui au travers des larmes de ces femmes et de ces hommes brisés .Elle jaillit dans ces ténèbres comme une source qui deviendra un torrent. Elle porte en elle les forces vives de ces êtres détruits. Pour Cathy, il est trop tard, mais pour les autres, elle annonce l’aube d’une longue et douloureuse nuit. Combien de victimes pour cette délivrance tout de même !

Je vous remercie pour votre accueil et votre écoute qui m’ont permis de vous parler en vérité. Au nom de l’Evangile.

 

Discussions

Question du CCMM*  : Comment faut-il appréhender le chemin néocatéchuménal ? Que penser de cette affirmation telle qu’écrite par un juge? “Les recherches effectuées ne permettent pas de confirmer que ce mouvement relève de la catégorie des sectes mais plutôt de celle de mouvements traditionnalistes catholiques”

*CCMM (Centre Contre les Manipulations Mentales) : http://www.ccmm.asso.fr/

Réponse de Christian Terras : A ce sujet, je suis obligé d’être un peu prudent lorsque je donne un avis ou que je décris une situation concernant un groupe en raison des procès que l’on me fait. Ces gens-là n’ont pas de problèmes financiers. En revanche, une maison d’édition comme la nôtre est fragile surtout lorsqu’on lui demande 150 000 € de dommages et d’intérêts pour chacune des procédures. Ils disposent eux-mêmes de ressources quasi illimitées. D’autant qu’une certaine complicité culturelle de l’appareil judiciaire avec des responsables d’Eglise dans ces affaires là est aussi à pointer et vous le dites parfaitement. Le jeune journaliste de Golias qui a suivi à Paris l’affaire de Catherine Tissier, ex adepte de l’Opus Dei, est tout à fait révélateur. Ce que disaient au tribunal Catherine Tissier, les témoins à la barre, les experts, les gens qui avaient connus l’Opus Dei de l’intérieur et qui en étaient partis, étaient en permanence relativisés au nom même de ce que vous soulignez monsieur. On voit là, le poids de la prélature personnelle de l‘Opus Dei accordée par le pape Jean-Paul II en 1983 sur le juge qui disait : « Mais l’Opus Dei n’est pas une secte ». A-t-elle des compétences pour en juger ? La force de ces groupes-là, comme le chemin néocatéchuménal, c’est d’avoir finalement obtenu leur reconnaissance institutionnelle, malgré que Joseph Ratzinger l‘ait longtemps retardée en raison de leurs statuts très flous. Mais en plus de cela, ils ont le soutien d’une cinquantaine de cardinaux et évêques, dont Mgr Barbarin (Lyon) et Mgr Rey à Toulon. Il est vrai que beaucoup de séminaristes aujourd’hui en France sortent du chemin néocatécuménal. Quand l’Eglise est en procès dans la justice profane comme pour les affaires de pédophilie sur lesquelles nous avons aussi beaucoup travaillé, j’ai pu voir à quel point la raison d’Eglise et la raison d’Etat fonctionnent main dans la main. Le vide juridique sur la question des sectes favorise la libre interprétation des juges actuels allant dans le sens de la raison d’Eglise.

Maître François Marchiani, vice-président du GEMPPI. Il faut préciser que les juges n’ont pas à dire dans un procès que tel groupe qui est mis en cause serait ou ne serait pas une secte. Ce n’est pas ce qui leur est demandé, d’ailleurs, il n’y a pas de définition juridique des sectes. Le juge n’est pas là non plus pour dire quelles sont les bonnes ou mauvaises religions. Le juge est là pour apprécier s’il y a des délits, des crimes ou des risques qui n’impliquent en aucune manière un jugement sur des croyances. Il s’agit pour lui de sanctionner des faits s’ils sont établis et s’il se prononce pour savoir si l’on a affaire à une secte ou non, la discussion est dévoyée, il est hors sujet et ça ne peut pas être innocemment, c’est forcément volontaire. C’est ce qui a été constaté une fois au procès contre la scientologie à Lyon.

Question anonyme : quelle serait cette raison d’Eglise poussant à laisser faire ces groupes qui ont presque les mêmes pratiques que les néo-pentecôtistes ?

Réponse de Christian Terras : Ceci s’expliquerait par le cadre d’une géopolitique mondiale où les néo-pentecôtistes évangéliques font feu de tous bois. On parle dans l’Eglise catholique de 50 à 60 millions de fidèles qui seraient d’inspiration néo-pentecôtiste, ceux dont j’ai parlé précédemment. Mais les néo-pentecôtistes protestants sont 10 à 20 fois plus nombreux dans le monde. C’est la confession chrétienne d’avenir. On peut discerner dans la volonté de Jean-Paul II la volonté de faire émerger un mouvement catholique concurrent à la mouvance néo-pentecôtiste protestante. Mais aussi concernant l’Amérique latine, cette géopolitique est liée au désir de contrer la théologie de la libération. Il est plus facile pour le Vatican de contrôler des sphères fusionnelles, fraternelles que des communautés chrétiennes de base œuvrant pour une transformation sociale, en particulier dans l’Amérique latine qui était gangrenée par des dictatures sanglantes. On observe aussi un rapprochement de l’Eglise avec les intégristes de Mgr Lefebvre. Si ces groupes là ne faisaient pas des prêtres, il y a longtemps qu’on en parlerait plus ou plus guère. Mais comme les groupes psycho-spirituels et intégristes produisent beaucoup de prêtres, l’Eglise se montre frileuse lorsqu’il s’agit de les discipliner, en particulier dans un contexte de raréfaction, voire d’absence de vocations sacerdotales. Cette situation dure depuis 30 ans, sans qu’on se pose la question de savoir si les dérives sectaires survenant dans ces groupes ne seraient pas structurelles ou doctrinales ? Tous ces groupes intégristes, charismatiques, psycho-spirituels, font un chantage de pression sur le Vatican pour obtenir une reconnaissance du pape en échange de la création de bataillons de fidèles engagés pour la « nouvelle évangélisation ». La raison d’Eglise catholique fonctionne aujourd’hui essentiellement sur cette base.

Notes

1) Charismatiques : communautés calquées sur les églises protestantes pentecôtistes, lesquelles prétendent vivre les dons surnaturels de puissance des premiers chrétiens conformément à ce qui est rapporté dans le nouveau Testament en particulier, les Actes des apôtres et la première épitre au Corinthiens, c’est-à-dire : parler en langues surnaturelles (glossolalie), prophéties, guérisons divines, don de chasser les démons, etc. Autant dire qu’il s’agit là d’une interprétation littérale de la Bible par les mouvements fondamentalistes protestants qui a été reprise par les mouvements charismatiques catholiques.

2) Psychogénéalogie : voir trimestriels du GEMPPI à ce sujet « Découvertes sur les sectes et religions » n°49et 72

3) Berger : responsable charismatique d’une communauté de vie qui, comme nous l’avons dit plus haut, dispose aussi d’une autorité spirituelle très puissante, puisqu’il est considéré comme étant investi dans sa charge par le Saint Esprit.

 

Bibliographie utile

Quelques publications de GOLIAS Editions sur le sujet, entre beaucoup d’autres :

 

-Opus Dei, enquête au cœur d’un pouvoir occulte. Christian Terras. GOLIAS Editions 2010.

-Les marchands d’âme : Enquête au cœur des Béatitudes. Pascal Michelena. Golias 2007

-Aux sources de l’intégrisme catholique. GOLIAS Magazine N°30 – 24.03.2010

-Rome-Ecône, retour au bercail. GOLIAS Hebdo N°234 – 25.04.2012

-L’Eglise devient-elle une secte ? GOLIAS Hebdo N°218 – 05.01.2012

-L’offensive TRADI. GOLIAS Hebdo N°118 – 03.02.2010

-L’hérésie charismatique. GOLIAS Hebdo N°114 – 30.06.2007

-Opus Dei, Les chemins de la gloire. Peter Hertel. Golias 2002

-Urquhart Gordon. L’armada du Pape. Ed Golias 1999

-L’œuvre, une secte catholique. Rik Devillé. Ed Golias 1996

 

Autres publications :

 

-Les naufragés de l’Esprit, des sectes dans l’Eglise catholique. Thierry Baffoy, Antoine Delestre, Jean-Paul Sauzet. Seuil 1996

-Le Saint Piège. Enquête au cœur du Vatican. Bruno Fouchereau. Ed. Hugo 2005

-Bouflet Joahim. Faussaires de Dieu. Presses de la Renaissance. 2000

-Prisonnier de Dieu. Michel Benoît. Fixot 1992

-L’Opus Dei, enquête sur une église au cœur de l’Eglise. Bénédicte et Patrice des Mazery. Flammarion 2005

-L’Opus Deï. Dominique Le Tourneau. Que sais-je ? PUF 1984

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