• 16 avril 2024 13 h 13 min

Association GEMPPI

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Le corps s’exprime-t-il par un langage que l’on peut décoder ?

Temps de lecture : 6 min.

 Corinne EVANESSE

 

 

 

La prostate parle-t-elle ?

 

 

 

« Ce livre est réellement extraordinaire, génial, un phare dont notre époque obscure et dégénérée a grand besoin »  affirmait cet étudiant en philosophie qui nous avait invités à prendre  un thé (vert) chez lui après une randonnée pédestre.

 

Il faisait l’éloge d’un livre  qui obtenait un grand succès de librairie : écrit par un praticien en médecines parallèles, il prétendait expliquer l’origine des maladies par des  troubles de l’âme. Se présentant sous la forme d’un dictionnaire, il permettait à chacun de décoder les  souffrances  (situées dans l’inconscient) qui avaient eu pour conséquence  l’apparition de telle ou telle maladie…

 

Notre apprenti philosophe nous avait parlé de ce livre pendant un bon moment, nous affirmant que TOUTES les maladies que TOUS les accidents (même mineurs) avaient une cause psychologique et  s’enracinaient  dans un problème non résolu, inconscient, ou nié par la personne. Notre inconscient s’exprimerait par le corps et il nous appartiendrait de décoder ce langage, de comprendre ce qu’il veut nous dire, sans quoi, bien sûr, nos problèmes de santé ne pourraient aller qu’en s’aggravant.

 

A l’époque, j’avais déjà entendu parler des maladies psychosomatiques, je ne doutais pas qu’un stress prolongé finisse par  avoir des conséquences sur la santé, mais ce livre me paraissait aller beaucoup plus loin. Je ne savais qu’en penser ; le discours enflammé de ce copain m’avait donné envie de lire ce livre pour me faire ma  propre opinion.

 

 Pourquoi aurais-je mis en doute le bon jugement de cet homme ? Il s’agissait d’un intellectuel, capable de lire et de comprendre des ouvrages d’une grande difficulté comme par exemple ceux de ce philosophe allemand si ardu qu’il portait aux nues : Martin Heidegger.* Pour ceux qui ne connaitraient pas  ce monsieur, je vous conseille de lire l’article  très  explicite que lui a consacré  le site Larousse.fr

 

http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Martin_Heidegger/123461

 

Je confondais alors capacité à accumuler des diplômes universitaires et capacité de jugement, sens critique. Les personnes les plus instruites ne font pas forcément preuve d’un esprit rationnel plus élevé que celui des gens faiblement diplômés, ça n’a rien de systématique.

 

Lire à ce sujet l’article paru sur le site Charlatan.infos  intitulé « qui sont les croyants au paranormal ? »

 

http://www.charlatans.info/sociologie-paranormal.php

 

On y apprend, entre autre, qu’un niveau d’étude élevé ne protège nullement contre la superstition.

 

Je lus donc ce livre qui me laissa une impression décevante ; je m’attendais à un ouvrage sérieux, un livre de psychologie assez calé mais il ne s’agissait que d’un galimatias confus et peu convainquant, une sorte de pamphlet  dirigé contre la médecine classique et les valeurs scientifiques, une ode à la spiritualité orientale, le Tao, le Ying le Yang, etc.

 

L’auteur tentait de relier chaque trouble de santé à un problème psychologique précis mais, en réalité, tout était fort vague,  il s’exprimait en termes si généraux que chacune de ses explications aurait pu convenir à quasiment tout le monde.

 

Par exemple,  l’auteur nous assenait  des vérités du style :

 

« Si vous vous faites une entorse, ça signifie que vous ne souhaitez pas vous rendre dans un certain endroit.

 

Ou bien :

 

« Vous devenez sourd ? Il y a certainement des vérités que vous n’avez pas envie d’entendre… »

 

La haute psychologie de l’auteur me faisait presque rire, tout était si simpliste, si caricatural…

 

Il prétendait en outre avoir découvert toutes ces « Vérités » dans le Taoïsme, alors qu’il était évident qu’il avait été influencé par les théories psychanalytiques. Je qualifierais volontiers ses théories  de déformations et de caricature de psychanalyse. Là où Freud nous explique que l’inconscient et ses névroses s’expriment par le langage des rêves, des actes manqués ou des lapsus, l’auteur  prétend qu’il s’exprime par le langage de la maladie ou de l’accident.

 

Tout son discours était très culpabilisant pour les malades. Non seulement ceux ci souffrent mais en plus quelqu’un vient leur expliquer que tout est de leur faute, c’est eux qui, en refusant de s’écouter, de tenir compte de leurs désirs, d’entreprendre une psychothérapie ou d’évoluer sur un plan spirituel avaient obligé leur inconscient à utiliser la manière forte pour se faire entendre c’est-à-dire la maladie.

 

La culpabilisation de l’autre est fort éloignée du Taoïsme, par contre, elle est typiquement judéo-chrétienne…

 

Prétendre avoir été inspiré par le yin et le yang permet de laisser de côté le problème de LA PREUVE. Le Taoïsme est mal connu en Occident, quant au Tao te King de Lao Tseu, ce livre est si obscur que chacun peut l’interpréter à sa  façon. L’auteur n’apportait jamais aucune preuve pour confirmer ses dires, nous étions censés  le croire sur parole

 

En plus du Taoïsme, l’auteur prétendait avoir découvert tant de merveilles grâce à son expérience personnelle de thérapeute, mais depuis quand l’expérience personnelle constitue-t-elle une preuve ? Rien de plus subjectif que l’expérience : une personne raconte qu’elle a vu une soucoupe volante, elle est de bonne foi, elle en est absolument persuadée, en quoi son expérience me prouve-t-elle l’existence de cette soucoupe ? En rien,  dois-je la croire sur parole ?

 

Je conseillerais volontiers aux personnes impressionnables tombant par hasard sur ce type d’ouvrage de commencer par lire ce que l’auteur raconte au sujet d’une maladie qui ne  les concerne pas, par exemple, pour une femme, les problèmes de prostate. Vous y apprendrez alors que les troubles de la prostate sont en rapport avec la perte de pouvoir, les hommes parvenant à l’âge de la retraite se sentant alors inutiles et déconsidérés en sont touchés.

 

C’est sans doute pourquoi notre ancien président de la République François Mitterrand a été  atteint  par un cancer de la prostate précisément au moment où il accédait au sommet du pouvoir ; notre actuel président de la république François Hollande a été opéré de la prostate alors qu’il était bien parti pour y parvenir…

 

Peut-être qu’un « spécialiste » de la psychologie des prénoms (si, si, ça existe) viendra un jour nous expliquer que le prénom FRANCOIS prédispose aux hautes fonctions…

 

Plus sérieusement, les hypothèses de l’auteur concernant l’origine des problèmes de santé sous-entend non seulement que nous  en sommes responsables mais encore que la santé est un bien qui se mérite. Nous serions en mesure grâce à nos efforts de guérir par nous même, par la force de notre propre esprit, grâce à  l’introspection.

 

La santé est-elle un bien qui se mérite ? Si nous observons la réalité des faits plutôt que nos croyances, il paraît évident que non : combien de parfaits salauds sont morts dans leur lit à un âge avancé ? Combien d’enfants innocents sont-ils morts d’un cancer ?

 

Ou encore : combien de personnes gravement malades s’en sont sorties sans jamais entreprendre la moindre démarche d’introspection, simplement en suivant un traitement médical approprié ?

 

Est-il si sûr que les personnes ayant entrepris une psychothérapie vivent plus âgées et en meilleure forme que celles qui ne font pas cette démarche ?

 

Derrière toutes ces questions s’en trouve une autre que nombre de malades ne peuvent s’empêcher de se poser : « Pourquoi moi ? Pourquoi n’est-ce pas plutôt le voisin qui tombe malade ? » Ces questions sur le sens des épreuves et des maladies  ne font que traduire un sentiment de révolte face à un événement fortuit vécu comme injuste.

 

Celui qui y est confronté n’a d’autre solution que de s’en remettre aux mains de la médecine, il peut se sentir dépossédé  de son autonomie,  de la maitrise de  sa vie. Désormais, ce n’est plus lui qui décide mais quelqu’un ou quelque chose d’autre, d’où le bon accueil que font tant de malades aux théories développées par ce livre : non seulement ils ont l’illusion que leur épreuve a désormais un sens mais ils croient avoir la maitrise de leur Destin.

 

Lorsque je rencontrai à nouveau le philosophe et sa petite bande de copains, je leur dis ce que je pensais de ce livre,  ce qu’ils prirent fort mal : je faisais preuve d’un matérialisme borné, je refusais de m’ouvrir à des Vérités supérieures, j’étais incapable de me remettre en question et d’évoluer.

 

« As-tu lu le livre de B de V sur la Kabbale  au moins ? C’est un ouvrage savant sur le symbolisme ; l’auteur y explique que les pieds sont en relation avec l’âme ;  or, tu as perdu  voici quelques mois ta paire de chaussures de randonnée et c’est hautement suspect !

 

Ca veut dire que tu es en train de perdre le contact avec ton âme, c’est pour ça que tu refuses de nous écouter… »

 

Quelques siècles plus tôt, un puritain anglais tenait déjà un discours similaire :

 

« La cause de la peste est le péché, si vous regardez bien. Et la cause du péché est le théâtre. Par conséquent, la cause de la peste est le théâtre. » — Thomas White, sermon prêché à Pawles Cross (1577)

 

Rien de nouveau sous le soleil, des idées religieuses rétrogrades se présentent aujourd’hui  sous un masque pseudo-scientifique.

 

Pour mieux comprendre les dangers que représentent ces croyances vous pouvez lire :

 

Jean Brissonet : la médecine post moderne prend le pouvoir

 

http://www.pseudo-medecines.org/article-la-medecine-postmoderne-prend-le-pouvoir-119404755.html

 

 

 

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