• 14 décembre 2024 11 h 51 min

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Temps de lecture : 16 min.

LE BOUDDHISME A AUSSI SES DERIVES SECTAIRES

Conférence de Marion Dapsance, anthropologue (environ 1 heure)

 

LIEN MAITRE DISCIPLE : UN

 MALENTENDU ORIENT OCCIDENT

 
Tiré de « Découvertes sur les sectes et religions » n° 87 du 01.10.2010, le trimestriel du GEMPPI
Revu le 06. 06 . 2011

 
Sophie Blazejewski – Déléguée GEMPPI
 
Cette réflexion ne prétend pas être un travail de spécialiste. Il s’agit d’observations qui m’ont été données de faire en France sur un certains nombre de personnes s’adonnant au bouddhisme, ceci excluant la possibilité de faire une généralisation de ces observations personnelles. Cependant, même s’il n’est pas possible de déterminer le pourcentage de représentativité de ces cas par rapport au bouddhisme, ces observations m’ont amené à des réflexions que je vous livre, que l’on pourra contester, mais qui auront le mérite toutefois de souligner certains excès ou dérives réelles existant dans ce domaine.
 
Société traditionnelle, contre société moderne
 
Les bouddhistes sont de plus en plus nombreux en Europe. Je ne parle pas seulement des asiatiques mais d’occidentaux qui se déclarent officiellement bouddhistes. La France représente une terre d’accueil particulièrement favorable à son développement car on y trouve de nombreux centres de méditation.
Les occidentaux qui deviennent bouddhistes, souvent motivés par une espèce de romantisme exotique, ne mesurent pas toujours la porté d’un tel engagement.
Il s’agit d’une forme de spiritualité très exigeante, dont les concepts théoriques et les valeurs se situent vraiment aux antipodes de ceux de notre société occidentale moderne. Il est important de comprendre que chaque religion s’inscrit dans une certaine culture. Le Bouddhisme est né en Inde puis a migré dans toute l’Asie. Il véhicule un certain nombre de valeurs qui sont propres à ces cultures. De même tout occidental, même athée reste fondamentalement imprégné de valeurs chrétiennes par sa culture.
L’Inde au départ et les pays d’Asie plus tard où le bouddhisme a prospéré ont longtemps été et sont toujours pour certains, spécialement pour certains pays de l’Himalaya, des théocraties. Or, rien n’est plus différent de la théocratie que la démocratie moderne à l’occidentale.
 
La théocratie est un gouvernement doté d’une forme d’organisation sociale pyramidale.
Au sommet un homme seul, à la fois prêtre et roi, d’essence divine qui a tous les pouvoirs; il est entouré d’un collège de clercs qui veillent à l’application rigoureuse de la doctrine. En dessous un certain nombre de nobles guerriers, chargés de protéger la sécurité du roi des clercs et du pays. Encore en dessous, les commerçants et artisans, en dernier les paysans qui sont souvent soit des esclaves, soit des serfs.
Il est impossible de passer d’un groupe à un autre. Ce type de société fonctionne grâce à un respect strict de la hiérarchie. Les clercs sont vénérés à un point qui nous est difficilement concevable en occident moderne; leur autorité n’est jamais discutée. Toute la société fonctionne selon le principe de la soumission à l’autorité : autorité des clercs sur le reste de la population, des hommes sur les femmes, des pères sur les enfants, etc.
La religion domine toute autre considération ; tout, absolument tout est de son ressort ; l’espace profane n’existe pas. Il s’agit là d’une forme d’état totalitaire.
Tout changement, toute évolution dans la société sont vécus comme un sacrilège. En effet, l’idéal de ce type de société se situe dans le passé, un passé mythique et parfait où régnaient les Dieux, des êtres mythiques (comme le Bouddha par exemple) et les ancêtres qui ont donné au pays ses lois et sa religion. La notion de progrès n’existe pas. Le rôle de chacun est déterminé par la naissance. Chacun se trouve à la place qui est la meilleure pour lui puisque les Dieux ou le karma l’ont voulu ainsi.
Ce type de société est donc particulièrement stable. Les changements, lorsqu’ils arrivent sont brutaux et viennent de l’extérieur, comme par exemple pour le Tibet, l’invasion par les communistes chinois.
Par la force de la tradition, le Bouddhisme himalayen plus spécialement, a été imprégné par les valeurs dominant ce type d’organisation sociale. C’est d’abord à cela que se heurtent les occidentaux.
 
Par contre les valeurs dominantes de notre société occidentale contemporaine façonnant notre culture contrastent fortement avec le modèle traditionnel évoqué ci-dessus. Elles sont caractérisées par la démocratie (pouvoir qui vient d’en bas et non plus d’en haut), importance donnée à la liberté et l’égalité et à la rationalité scientifique par opposition à la superstition et aux croyances. Ici mieux vaut laisser parler un des spécialistes du sujet le philosophe Emmanuel Kant dans un extrait de son livre « qu’est-ce que les Lumières»
«Les lumières sont ce qui fait sortir l’homme de la minorité qu’il doit s’imputer à lui-même. La minorité consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui. Il doit s’imputer à lui-même cette minorité, quand elle n’a pas pour cause le manque d’intelligence, mais l’absence de la résolution et du courage nécessaires pour user de son esprit sans être guidé par un autre. Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! voilà donc la devise des lumières. »
 
La pensée des Lumières qui ne touchait qu’une minorité de personnes au XVIIIème siècle s’est peu à peu répandue à l’ensemble de la société.
Une de ses manifestations est le rejet par l’ensemble de la population ou presque de l’argument d’autorité. Une personne utilise l’argument d’autorité lorsqu’elle dit à une autre «ceci est vrai parce que je le dis»
Elle ne cherche pas à convaincre, l’argument d’autorité est un ordre.
La contestation vis à vis de l’autorité, le rejet des systèmes hiérarchiques, voilà ce qui caractérise les sociétés modernes.
Toutefois l’état de minorité dont parle Kant présente certains avantages en ce qu’il favorise la paresse intellectuelle (autrui pense pour moi) et le confort moral (pas de doutes, d’angoisse existentielle) ; l’être humain moderne a une tendance contradictoire à vouloir décider lui-même tout en se cherchant des gourous et des coachs
 
Nous venons d’opposer les valeurs théocratiques (dans lesquelles baigne le Bouddhisme depuis son origine) aux valeurs des Lumières ayant émergé en milieu judéo-chrétien, qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles. Nous nous rendons compte qu’elles n’ont guère de points communs, comme cela ressort dans cette petite mise en relief des concepts bouddhistes en opposition à des concepts typiquement occidentaux contemporains.
Tout d’abord, il faut savoir que la spiritualité bouddhiste est très éloignée des principes culturels induits par le christianisme dont nous sommes imprégnés et que ces concepts sont difficiles à comprendre pour nous. Le danger est grand par exemple de plaquer des idées chrétiennes sur des idées bouddhistes, en toute bonne foi.
J’ai rencontré de nombreux occidentaux « bouddhisants », mais leur comportement vis à vis de la spiritualité était plus chrétien que bouddhiste, même s’ils étaient persuadés du contraire.
 
Karma contre libre arbitre
 
La première opposition bouddhique traditionnelle au concept occidental de libre arbitre est la notion de Karma.
Le karma désigne le cycle des causes et des conséquences liées à l’existence des êtres sensibles. Le karma représente la somme de ce qu’un individu a fait dans le passé (y compris dans ses vies antérieures), est en train de faire ou fera. Dans les religions incorporant les concepts de réincarnation ou de renaissance, les effets de ces actes karmiques se répercutent dans les différentes vies d’un individu.
La loi du karma est un concept central dans nombre de religions d’extrême orient, telles que l’hindouisme, le sikhisme, le bouddhisme ou le jaïnisme.
Si on fait une lecture fondamentaliste de ce concept, on peut le traduire de la façon suivante :
              tout ce qui doit arriver arrivera quoi que vous fassiez
              ce qui ne doit pas arriver n’arrivera pas quoi que vous fassiez
Les conséquences de ce type de croyance sur le plan collectif sautent aux yeux. Il n’est pas besoin d’être un lecteur assidu de Karl Marx pour comprendre qu’un peuple ne risque pas de se révolter contre les injustices qu’il subit si ses membres sont persuadés que tout ce qui leur arrive provient de leur karma…
Quant aux conséquences sur le plan individuel je laisse le soin aux psychologues d’y réfléchir. Je me permets de suggérer parmi ces conséquences l’affaiblissement de la volonté.
J’ai connu un homme engagé dans le Bouddhisme qui ne prenait aucune décision dans sa vie pour ne pas aggraver son karma. Il laissait les autres et les événements décider pour lui. Lorsqu’il était absolument obligé de décider, il lançait une pièce de monnaie en l’air et jouait sa décision à pile ou face, c’était alors le karma qui décidait.
Pour un bouddhiste, décider, faire un choix, c’est émettre un désir et le désir entraine l’attachement donc le karma. Comme il n’est pas possible de s’abstenir totalement d’agir, il est conseillé au pratiquant «l’agir sans agir», on appelle cette forme d’action «non agir» ou «  karma-yoga». Il s’agit d’agir sans s’attacher aux fruits de ses actes, donc d’agir sans désir.
Maintenant ami lecteur, essayez donc de poser un acte qui ne soit pas lié à un désir, c’est absolument impossible. Désirer se libérer de son karma, c’est un désir ; désirer ne pas désirer se libérer de son karma, c’est un désir ; désirer ne pas désirer ne pas désirer se libérer de son karma etc. On ne s’en sort pas.
Le but du Bouddhisme étant de se libérer de la souffrance (on emploie parfois le mot insatisfaction), quelle merveilleuse façon d’être toujours insatisfait et malheureux que de se donner des objectifs totalement impossibles à atteindre ?
Le karma est une forme de croyance au déterminisme. Ce type de croyance n’est pas spécifique au Bouddhisme. Quasiment toutes les religions s’y sont frottées (prédestination dans le Christianisme par exemple). Sauf que dans la croyance en la réincarnation et au karma, le déterminisme est une valeur fondamentale, avec cependant quelques exceptions d’écoles envisageant des concepts moins fatalistes.
 
Le karma s’oppose à la notion de libre arbitre qui a connu un grand succès en occident depuis l’avènement des lumières, lesquelles se sont développées dans un contexte chrétien. Comment pourrait-il y avoir un jugement dernier si l’être humain n’a pas la possibilité de choisir entre le Bien et le Mal et si ses actes sont conditionnés à ce point?
Je ne vais pas chercher à comparer tous les concepts bouddhistes et montrer en quoi ils s’opposent aux valeurs culturelles occidentales car ce serait là le sujet d’un livre. D’autres part tout n’est pas aussi tranché que nous venons de le dire.
 
Après tout cela un certain nombre de personnes trouvent le moyen de dire que le Bouddhisme n’est pas une religion mais une philosophie
En effet, Bouddha aurait affirmé que le bouddhisme n’est pas basé sur des croyances mais sur l’expérience personnelle. Mais alors, par exemple, comment fait-on l’expérience de la réincarnation  ? Ne s’agit-il pas là d’un dogme religieux relevant de la croyance tout autant que le jugement dernier des religions monothéistes ?
 
 
Doutes sur les fruits de la méditation et de l’ascèse
 
Deux aspects importants du bouddhisme méritent d’être mis en exergue pour compléter cette démonstration: la méditation et le lien de maitre à disciple, illustrés par quelques cas concrets ; j’ai en effet été en contact avec de nombreux bouddhistes occidentaux sans pour autant avoir jamais été bouddhiste moi même.
 
La pratique de la méditation bouddhique consiste à s’asseoir sur un coussin le dos droit et les jambes croisées dans la position dite «du lotus», c’est-à-dire le pied droit reposant sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite, à se concentrer sur sa respiration tout en essayant d’observer ses pensées et ses émotions comme si elles nous étaient étrangères, les bouddhistes appellent ça «ne pas s’identifier à ses pensées».
Les asiatiques ayant l’habitude depuis l’enfance de s’asseoir au niveau du sol sont beaucoup plus souples que nous en général.
La simple posture jambes croisées (sans lotus) est difficile à maintenir longtemps pour un occidental. Les séances de méditation collectives chez les bouddhistes peuvent durer des heures et j’en connais qui ont beaucoup souffert pendant ces séances répétées et qui ont suite à cela développé de sévères arthroses du genou.
La durée de ces sessions de méditation peuvent être fort longues, notamment pour ceux qui choisissent de faire une retraite dans un monastère Chez les tibétains, la durée traditionnelle d’une retraite est 3 ans, 3 mois 3 jours. On trouve cependant des retraites ajustées à tous les agendas et porte monnaies.
Les retraitants sont enfermés dans un centre de retraite à l’écart du reste du monastère. Ils y passent leur temps à méditer et à psalmodier des textes tibétains tout en visualisant des divinités bouddhiques.
Leur régime alimentaire y est fort frugal. Ils disposent d’une petite cellule individuelle avec un lit de forme carrée. J’ai pu visiter un de ces centres. Entre deux retraites, il est ouvert au public. Les lits ont cette forme car les retraitants sont censés y dormir en position de méditation jambes croisées. Le but de la retraite étant de développer la vigilance et la présence à soi-même, il n’y est pas très conseillé de trop dormir…
J’ai pu interroger une ex retraitante et lui ai demandé si elle était parvenue à dormir dans la position conseillée, elle m’a répondu que non…
Le lecteur qui se poserait des questions sur les conséquences sur le cerveau d’une privation chronique de sommeil pourra poser la question à leur médecin. Ce genre de pratique est souvent utilisée lors d’interrogatoires de prisonniers de guerre par exemple…
J’ai également demandé à cette retraitante ce qu’elle avait trouvé de plus difficile au cours de ces 3 ans. Elle m’a répondu que ça n’était pas la difficulté des pratiques bouddhistes, ni le manque de confort, mais la présence continuelle des autres retraitantes. Les heurts y ont été fréquents. Cette dame m’a ensuite assuré qu’il s’agissait là d’une chose normale, qu’elle était là pour casser son égo et que la présence continuelle de personnes avec lesquelles elle ne s’entendait pas constituait une merveilleuse occasion de travailler sur la patience…
A mon travail, je dois supporter toute la journée des personnes avec lesquelles j’ai bien du mal à m’entendre, pourquoi aller dans un monastère pour cela ? Me suis-je demandé.
Je lui ai alors dit que je trouvais ces conditions de vie bien difficiles et elle m’a répondu que les choses s’étaient améliorées par rapport à la retraite précédente où il n’y avait aucun chauffage dans les cellules.
Que des gens vivant dans de telles conditions en arrivent à ne plus pouvoir se supporter ne me surprend pas.
Un autre ex retraitant, m’a assuré avoir entendu parler de pratiques présentant certaines similitudes dans des monastères chrétiens en Espagne. D’après lui, des moines seraient incités à dormir tout en restant vigilants. Ils seraient invités à dormir allongés, tout en laissant tomber un bras en dehors du lit, main en direction du sol, et tenant une cuiller en métal. Dès que leur vigilance se relâche et qu’ils s’endorment la cuiller tombe et le bruit les réveille. Il faut alors recommencer le processus jusqu’à ce qu’ils parviennent à dormir tout en tenant la cuiller.
Concernant de telles pratiques, je ne suis pas allée vérifier…
La pratique de la méditation assise (ne pas s’identifier à ses pensées et émotions) permet-elle, si ce n’est de faire disparaître l’égo, au moins d’apaiser durablement l’individu et de faire de lui un être moins égoïste ?
Et bien, ce n’est pas ce que j’ai pu observer ; j’ai connu des pratiquants sérieux qui après des années de pratique intensive étaient toujours aussi colériques, orgueilleux ou anxieux. La méditation me fait assez penser à cette pratique des mauvaises ménagères qui consiste à cacher la poussière sous le tapis. A trop vouloir rechercher la paix, on refoule ses émotions et celles ci explosent avec violence. Trop de gens confondent méditation et psychothérapie.
Je me demande même parfois si la pratique de la méditation n’aggrave pas l’orgueil. J’ai pu observer chez certains pratiquants (derrière des discours lénifiants sur la diminution de l’égo…) cette arrogance tranquille de ceux qui croient détenir une vérité et pensent vivre d’une manière supérieure au reste de la population, ces profanes qui gaspillent leur vie en futilités…
Cela m’amuse d’autant plus qu’une partie de ces pratiquants, ceux qui vivent à l’année dans ces monastères et qui ne sont pas tous moines (on les appelle les «résidants») seraient parfaitement incapables de mener une vie normale, celle des êtres humains ordinaires, autrement dit avoir un travail stable, une vie affective et de famille stable, s’occuper de leurs enfants et de leurs parents âgés etc.
Il s’agit (je parle ici des résidants) en majorité de marginaux aux tendances instables.
 
Le malentendu concernant le Maître
 
La relation maître-disciple est centrale dans les religions extrême-orientales et source de multiples problèmes pour les occidentaux
En Orient, on parle volontiers de la nécessaire dévotion du disciple vis à vis de son maître. Celui-ci doit représenter pour lui l’incarnation du Bouddha lui-même. Il doit lui obéir en tout et le suivre partout.
Voici une histoire édifiante qui circule dans le Bouddhisme zen : un moine appelé Eka (qui devait devenir par la suite le second patriarche du zen en Chine) se trancha un bras pour prouver à son futur maître sa détermination et obtenir de lui qu’il le choisisse pour disciple. On voit l’abîme qui sépare ce type de comportement (même s’il s’agit d’une légende, elle est significative) du comportement type des occidentaux ne supportant plus les liens de subordination et rejetant les arguments d’autorité et qui se retrouvent dans des conflits sans fin avec leur «maître».
Les «maîtres» orientaux, bouddhistes ou non, qui débarquent en Occident s’attendent à y recevoir les même marques de vénération et la même soumission auxquelles ils sont habitués dans leur pays. Ne les recevant pas, ils attribuent le comportement des occidentaux à la décadence de leur civilisation et à ses valeurs pernicieuses. Ils considèrent le plus souvent les occidentaux comme de mauvais disciples et les malmènent dans le but de leur apprendre l’humilité. Ces deux mondes ont le plus grand mal à se comprendre, car ils sont victimes de malentendus.
Les bouddhistes originaires de contrées et dont la culture est fort éloignée de la notre, sont installés depuis quelques dizaines d’années tout au plus chez nous. Ils commettent parfois de graves erreurs de jugement en accordant leur confiance à des gens qui ne font que se servir d’eux pour leur intérêt personnel.
Par exemple, j’ai connu des pseudo-psychothérapeutes gourous qui utilisaient la caution spirituelle du Bouddhisme pour recruter des clients, rien de plus facile que d’écrire sur sa carte professionnelle «disciple» de tel ou tel maître, surtout lorsque c’est vrai…
D’autre part, certains monastères bouddhistes en occident accueillent régulièrement chez eux des stages divers de style «new age» organisés par des personnages plus ou moins douteux. Les stagiaires viennent dans ces monastères en toute confiance puisque la personne proposant le stage semble avoir obtenu la caution spirituelle des religieux.
Il est vrai que ces stages résidentiels constituent une source de revenus non négligeable pour ces monastères…
 
Un exemple concret
 
Un maitre appartenant à une tradition bouddhiste souhaite que son enseignement soit diffusé en Europe. Il a besoin pour cela d’un centre de méditation pouvant recevoir un grand nombre de disciples ainsi que lui-même lors de ses séjours en Europe. Il fait la connaissance d’un couple disposant d’une certaine fortune qui accepte de lui acheter (donc de lui offrir) un bâtiment assez vaste qui puisse convenir à ce projet. Pour animer ce centre et y enseigner durant les longues périodes où le maitre est appelé à enseigner ailleurs, il est nécessaire qu’y séjourne un disciple du maître. Mais les disciples en question vivant à l’étranger ne parlent pas un mot de la langue de leur pays d’accueil ; ils n’ont jamais quitté leur monastère et ne connaissent rien de la civilisation occidentale, encore moins de ses valeurs.
Il est donc décidé qu’un disciple viendra en pension chez la famille du couple mécène. Il y vivra pendant un certain temps pour y apprendre la langue du pays et se familiariser avec le mode de vie occidental.
Pour préparer sa venue, le couple, qui a déjà offert le centre de méditation, est amené à réaliser un certain nombre de travaux : nouvelle chambre, salle de bain et salle de méditation.
 Des sa descente d’avion, le comportement du disciple stupéfie le couple : il ne sait pas marcher sur un trottoir et n’a jamais vu de panneaux de signalisation. Il est vrai que cet homme a été envoyé dans son monastère dès l’enfance comme c’est la tradition dans son pays.
Une fois installé chez eux, le couple doit payer au disciple une assurance santé et lui faire soigner les dents qu’il a en piteux état. Il est aussi nécessaire de le vêtir car il ne peut se suivre des cours de langue pour étrangers dans un habit monacal, lesquels cours n’étant bien entendu pas gratuits.
Pour tous ces dons le couple n’aura jamais droit à un remerciement de la part du disciple ou du maître. Pour eux, il est normal de tout faire pour «le dharma» et ils sont habitués à ce que tout leur soit offert. Ils estiment même que c’est au couple de remercier et que le maître fait preuve de bienfaisance en acceptant leurs dons.
Le disciple connait de grosses difficultés au sein de la famille. Il ignore l’usage des commodités domestiques les plus simples et il est nécessaire de tout lui apprendre. Le couple a l’impression de vivre en direct un épisode du film «les visiteurs».
Dès qu’il commence à parler un peu notre langue, le disciple commence à manifester sa totale désapprobation vis à vis du mode de vie des membres de sa famille d’accueil
 En voici quelques exemples :
        attitude irrespectueuse des enfants à son égard ainsi qu’à l’égard de leur père ; indiscipline et refus d’obéissance de leur part. Perte de temps consacré à des futilités au lieu de commencer à étudier le «Dharma» (la grande Loi de l’Univers).
        manque de dévotion du couple à son égard et manque d’assiduité à suivre ses enseignements
        les reproches les plus durs sont adressés à l’épouse. Le disciple n’admet pas que celle-ci travaille au lieu de se consacrer à son devoir de mère et d’épouse. Elle est une mauvaise mère car elle n’a pas appris à ses enfants à obéir à leur père et à respecter la religion ; Elle n’obéit pas à son mari et ose discuter ses décisions ; lorsque le disciple apprend que ses beaux parents vivent en maison de retraite, cela le met dans une grande colère. Selon lui, ceux ci devraient vivre sous leur toit, l’épouse devrait cesser de travailler se mettre au service de sa belle mère et lui obéir en tout puisque les belles mères commandent toujours aux belles filles.
 
Bien entendu l’épouse refuse d’obéir à ces ordres absurdes et cela ne fait qu’envenimer la situation.
Finalement il est décidé puisque le disciple commence à parler notre langue et qu’il s’est un peu familiarisé avec notre culture qu’il vivra désormais dans son centre de méditation.
Les ennuis n’en sont pas terminés pour autant pour cette famille.
Le couple avait certes offert le centre mais faisait partie du conseil d’administration. Le disciple totalement fâché avec le couple leur fait des reproches publics lors d’une réunion et exige qu’ils soient chassés du conseil d’administration.
Je n’ai pas de commentaires à faire au sujet de cette histoire qui est assez édifiante en elle-même.
 
Conclusion
 
Changer de religion s’avère une entreprise hasardeuse. On peut y rencontrer plusieurs types de dangers :
        Y faire de mauvaises rencontres par méconnaissance du milieu
         Se lancer dans des pratiques bien éloignées de notre style de vie et comportant des risques (changement brutal de régime alimentaire par exemple)
        Chercher à adopter des valeurs aux antipodes de celles notre société d’où le risque de s’éloigner de son entourage, de sa famille ou de connaître des difficultés sociales.
 
Avant de se lancer dans cette voie, je pense qu’il est nécessaire de se poser les questions suivantes :
        Quelles sont mes motivations réelles, celles-ci sont-elles spirituelles ou d’une autre nature ?
        Qu’est-ce que je ne trouve pas dans la religion de mes ancêtres pour le chercher ailleurs ?
        À quel besoin cela correspond-il chez moi et que pourrais-je faire pour satisfaire ce besoin sans prendre de décisions extrêmes ?
 
Désirez-vous avoir des nouvelles du disciple ?
 
Les années ont passé ; le disciple Himalayen vivant toujours dans le centre grâce aux donations de certains disciples (et je pense à certaines allocations) devait rentrer dans son pays le maitre l’avait ordonné. Or,   il est toujours là. Pourquoi ?
PARCE  QU’IL   A REFUSE  D’OBEIR  A  SON  MAITRE !
Oui, vous avez bien lu. Quelle conclusion pouvons-nous tirer de ce comportement qui aurait été impensable dans son pays ?
Toute personne vivant pendant des années en occident finit par être influencée par ses valeurs ; ce qui prouve leur puissance.
Soyons donc fiers de nos valeurs, défendons les, puisque même ceux que nous avons choisi pour maîtres et apportant d’autres valeurs, finissent par succomber au sublime principe de liberté individuelle régnant dans nos contrées.
 
Si des philosophes professionnels lisent ces pages, je les incite à se pencher sur les textes bouddhistes et à les étudier avec les outils intellectuels dont ils disposent.
On a écrit un «les Evangiles au risque de la psychanalyse», à quand un «les grands textes bouddhistes au risque de la philosophie occidentale»? Ce travail serait d’autant plus nécessaire qu’un certain nombre d’occidentaux se figurent que le Bouddhisme est une philosophie et pas une religion.
Je tiens à rendre ici un hommage particulier au livre du philosophe  Marcel  Gauchet : « Le désenchantement du monde » que j’ai lu et relu et  qui a inspiré cet article. Ce livre m’a permis de comprendre l’évolution des sociétés religieuses vers les sociétés démocratiques.
 
Si vous connaissez d’autres exemples concrets présentant des ressemblances avec le cas évoqué ici, vous pouvez le faire savoir et témoigner, toujours de façon anonyme.
 
Sophie Blazejewski
 
PS
 
Nous avons connu aussi au GEMPPI le cas d’un sympathique monsieur qui avec sa femme recevait un maître bouddhiste Himalayen tous les ans, lui payant bien-sûr une très onéreuse assurance santé, ses voyages, sa nourriture, etc.
Ces braves gens avaient même agrandi leur maison à grands frais pour lui en consacrer une partie exclusive. Le maitre pouvait ainsi donner un enseignement bouddhique à un groupe de fidèles pendant 3 ou 4 mois par an et faire de nouvelles recrues, dans un confort exceptionnel pour lui.
Un beau jour, il décida qu’il lui fallait être accompagné par un secrétaire, un autre moine Himalayen. Là, le sympathique monsieur et son épouse ont tiqués, car multiplier par deux les frais déjà très élevés était inacceptable pour eux. Ils se sont fâchés avec leur maitre qui resta cependant ferme sur ses exigences. Ils ont finalement coupé les ponts.
Ceci illustre tout à fait le malentendu que notre correspondante nous explique ci-dessus, les occidentaux se font une idée romantique erronée du maître bouddhiste, hindouiste ou autre, qui sont habitués à la soumission inconditionnelle de leurs disciples. Sauf à être l’adepte d’une secte décervelante, quel est l’occidental en bonne santé mentale qui accepterait une telle soumission, alors qu’il jouit habituellement d’une totale liberté de penser et d’agir ?
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